Le regard des consommateurs sur les Marques

Pourquoi telle entreprise a- t- elle meilleure image que telle autre ? A décrypter l’enquête de BVA Change, certaines gagneraient beaucoup à se remettre en cause.

Elles ont des racines et des ailes. A la fois ancrées dans leur histoire et portées par une forte dynamique. C’est Apple, Ikea, Yves Rocher, ou encore Danone. Pour la première fois, l’institut BVA a réalisé pour l’agence Change une étude sur le potentiel des marques en croisant l’attachement des consommateurs à leur égard et leur capacité de changement telle qu’elle est perçue. « Ce double levier s’avère particulièrement puissant, explique Patrick Mercier, cofondateur de Change. Il génère des croissances insolentes en ces temps de crise. » Au contraire, celles en queue de peloton sont à la peine. Soit parce qu’elles ne savent plus surprendre, ni se différencier, ou parce qu’elles ont perdu le fi l de leur histoire et ne procurent aucune fierté. Il est temps pour elles de se remettre en question et de rompre avec les comportements passés. Un changement urgent à opérer pour les banques, tant le divorce avec le client semble consommé.

Les gagnantes
Elles ont tout pour elles. Un capital affectif immense et une capacité à faire bouger les lignes. En baissant les prix pour reconquérir des consommateurs, comme Danone, ou en inventant des appareils sur un marché très encombré, comme Apple, ces marques savent surprendre pour mieux se développer.

YVES ROCHER
– « Cette belle endormie était presque devenue ringarde au tournant du siècle », constate Patrick Mercier. La voici ressuscitée. Yves Rocher est dans le trio de tête de l’enquête BVA. « Notre marque était tellement sûre de ses valeurs qu’elle ne les communiquait plus. Ni en interne ni en externe », explique Stéphane Bianchi, son directeur général. La remobilisation a pris trois ans par le biais de multiples chantiers : modernisation des magasins, nouveau logo, lancement de gammes bio avec la cosmétique végétale comme fil conducteur. Emblématique de cette révolution verte, la publicité montrant une femme le poing levé. « C’est un travail de refonte énorme qui a consisté à se rapprocher du consommateur, indique Stéphane Bianchi. Par exemple, en réorganisant les équipes par pays et non plus par métiers. » L’ouverture d’un éco-Spa, en 2009, à La Gacilly, berceau historique du groupe en Bretagne, est venue compléter ce lifting réussi et payant. Depuis sa transformation, en novembre, le magasin des Champs-Elysées a vu ses ventes augmenter de… 25 %.

Les prétendantes

Ces marques font partie du paysage : historiques et visionnaires. Beaucoup sont issues de l’alimentation et de la distribution : Orangina, Bonduelle, Carrefour, Intermarché… Mais question dynamisme, certaines comme Kronenbourg, ont pris du retard. Il est temps de prendre des risques. 

YOPLAIT
– C’est un beau retournement qu’a réussi Lucien Fa avec Yoplait. « En 2002, la marque était dans un état de coma avancé, reconnaît le PDG. Aujourd’hui, elle progresse plus vite que le marché en volume et en valeur. » Pour ranimer l’entreprise, ses équipes ont redéveloppé des marques comme Yop, Calin, Petits Filous auprès de cibles bien identifiées : adolescents, femmes de plus de 35 ans et enfants. Chaque nouveau produit répond aux attentes du public visé pour renforcer « la complicité », comme le Yop’n Go, yaourt à boire nomade, le Calin 0 % ou les flans Mr Jelly de Petits Filous. « Ca va bouger dans les desserts », dit la publicité. De fait, si Yoplait a gardé un capital affectif élevé, les consommateurs lui reconnaissent désormais une certaine capacité de changement. A condition que la grande distribution lui laisse le temps de faire ses preuves : Dizzy, sa boisson lactée pétillante, lancée fin 2008, a été arrêtée. « Elle aurait dû être dans le rayon des soft-drinks, justifie Lucien Fa. Mais une telle innovation de rupture est la preuve que Yoplait va beaucoup mieux. »

Les décevantes
Si elles bougent, personne ne le voit. « Ces marques disposent d’un certain capital affectif, assure Grégory Duquesne, directeur du planning stratégique de Change. Ce qui prouve que pour réussir, l’attachement ne suffi t pas. Mais elles, elles ont l’impression que cela les protège de tout. » Résultat : elles sont perçues comme peu séduisantes et manquant de dynamisme.

LCL
– « Il faut donc dix ans pour gommer une avanie, se réjouit Georges Lewi, directeur du BEC-Institute et spécialiste des marques. LCL s’est refait une virginité. » Oublié, le scandale. Rebaptisé LCL en 2005, l’ex-Crédit lyonnais est redevenu une banque comme les autres. Dans l’esprit des sondés, elle est, et de loin, celle qui communique le plus. « C’est vrai, nous sommes premiers en mémorisation, sourit Marie Petracco, qui gère la stratégie de communication externe de LCL. Pourtant, nous ne sommes que les dixièmes investisseurs publicitaires du marché ! Mais en parlant directement d’argent, de produits, nous avons été en rupture avec les autres. » Les Français lui reconnaissent une capacité à innover supérieure à celle de ses congénères. De quoi se faire remarquer, pas forcément aimer : ils ne sont que 29 % à assurer « qu’on peut être fier d’utiliser la marque » quand la moyenne bancaire est à 35 %. « Un discours centré sur la transaction ne fait pas la différence, analyse Patrick Mercier. Il est temps de proposer une vision. »

Les souffrantes
« Elles sont sous assistance respiratoire, assène Patrick Mercier. Pour survivre, elles doivent se réinventer totalement. » Même ING, qui obtient de bons scores pour son dynamisme, n’a pas su se créer une histoire attachante : « Sur un secteur mal perçu, elle n’a pas réussi à s’imposer comme un contre-modèle », poursuit Patrick Mercier.

BRICORAMA
– Difficile de se faire un nom face aux géants Castorama et Leroy Merlin ! Le groupe, créé par Jean-Claude Bourrelier en 1975, a beau avoir réalisé un chiffre d’affaires de 676 millions d’euros en 2009, l’enseigne reste mal aimée. « C’est difficile de lutter quand les poids lourds du secteur se retrouvent dans le Top-5 de la distribution, analyse Frédéric Boublil, directeur au cabinet Solving Efeso. Et l’entreprise n’a pas non plus la taille critique ou le modèle économique pour s’occuper de sa marque. » A la différence d’un Leroy Merlin qui a trouvé de nouveaux clients en féminisant son offre et sa communication, ou d’un Castorama qui a revitalisé ses magasins et bénéficie de l’attrait de la nouveauté. « Avec Bricorama, un empire a été créé, pas une enseigne, renchérit Patrick Mercier. Il n’y a plus de création de valeur, mais une spirale descendante. Il faudrait se remettre en cause, comme a pu le faire Simply Market. »

Les figurantes
« Ces marques sont dans le ventre mou,
analyse Patrick Mercier. Elles ont pu démontrer qu’elles étaient capables de créer de la rupture, mais offrent désormais peu d’innovations et n’ont pas su construire de relation avec le consommateur. » Les plus mal placées sont en danger : « Il y a plus de substituables qu’on ne l’imagine », relève Frédéric Boublil, de Solving Efeso.

BOUYGUES TELECOM
– C’était le challenger du marché, mais il a perdu de son allant. « Il fait le moins bon score dans sa catégorie pour la capacité à bousculer le marché et sur le côté visionnaire », analyse Grégory Duquesne. L’opérateur a été le premier à lancer les forfaits, l’illimité, ou le quadruple play (combinaison mobile, fixe, Internet, télévision avec Ideo), mais il semble être rentré dans le rang. « Il appartient maintenant à la bande des quatre, avec Orange, SFR et Free, analyse Georges Lewi. Et ne passe donc plus pour le plus innovant sur un marché oligopolistique. » Question de présence à l’esprit ? « Nous sommes pénalisés parce que le consommateur tombe trois fois plus souvent sur une agence Orange que sur une boutique Bouygues, se défend Jean-Michel Stassart, directeur communication et marque. C’est pour cela que nous choisissons de parler de notre offre plutôt que de l’image. » Pour retrouver son statut de trublion, Grégory Duquesne lui conseille « d’arrêter de faire des films semi-institutionnels comme avec Ideo, et de se pencher sur les nouveaux usages : les gens ont besoin d’explications. Ce serait bien d’être le premier à leur en donner. »

Source : Challenges.fr