Entre virtuel et réel : le retour à des logiques de proximité

Les médias relayent régulièrement la forte croissance du e-commerce: 25 milliards d’euros dépensés sur le Net en 2009, en hausse de 26%, plus de 24 millions de Français achètent sur internet dans 64 000 sites marchands (+ 35% en un an). Les montants sont impressionnants. Ces chiffres annoncés par les acteurs du secteur ne doivent cependant pas nous tromper : bien que dopée par Internet, la vente à distance n’a pas encore changé d’échelle, elle ne représente qu’environ 3% du commerce de détail, même si un nombre limité de secteurs sont au dessus de 10% (voyages, livres…). Pourquoi ?

Par Alain Rallet Université Paris Sud & Hélène Perrin Boulonne CCIP auteurs de“l’évolution du commerce à l’ère de l’économie numérique”

Finalement, on note encore assez peu d’innovations commerciales (comparateurs de prix, avis de consommateurs, actualisation plus rapide des catalogues en ligne…) Le commerce en ligne est avant tout un nouveau canal de la vente à distance ou l’extension au Net de pratiques d’intermédiation existantes (plateformes de déstockage par exemple). On en conclut que l’utilisation des technologies numériques par le commerce offre pour les prochaines années un vaste champ pour des innovations qu’elles soient marketing, logistiques, organisationnelles, etc… . S’il est difficile de prévoir ce que sera le commerce de demain, on peut d’ores et déjà émettre quelques hypothèses.

Commerce, outils mobiles et mobilité des consommateurs

La première évolution possible est liée à l’accroissement des outils mobiles de communication (plus répandus que l’ordinateur) et au développement d’achats en situation de mobilité. On avait imaginé au début des années 2000 un consommateur faisant ses courses « en pantoufles». Avec l’explosion des technologies liées à la mobilité, la consommation peut s’effectuer en tout lieu (et plus seulement le magasin ou le domicile) et donner lieu à des pratiques nouvelles d’accès aux produits et aux services. Le défi pour le commerce qu’il soit électronique ou non se situe en partie dans sa capacité à suivre le consommateur dans sa mobilité et dans ses usages. On peut notamment imaginer un besoin d’instantanéité croissant de la part des consommateurs : je veux pouvoir accès au maximum de biens et de services, n’importe quand et n’importe où, mais tout de suite.
Les technologies de géo-localisation et donc la capacité à suivre les consommateurs dans leur mobilité existent. Mais elles sont encore très peu utilisées par les commerçants. Plusieurs freins à cela : l’absence de modèles économiques, le problème de partage de la valeur entre les différents acteurs (opérateurs téléphoniques, fournisseurs de contenus et commerçants) et enfin le niveau d’acceptabilité par le consommateur.
Le deuxième frein concerne la logistique. Car le besoin d’instantanéité se heurte à un paradoxe : si le consommateur peut acheter n’importe où et n’importe quand, il ne peut pas encore être livré n’importe où de n’importe quoi, ceci à l’exception évidemment du cas des biens immatériels. L’exigence en terme de rapidité et fiabilité de la livraison est très élevé. Les réponses apportées en la matière restent encore timides.

Entre virtuel et réel : le retour à des logiques de proximité

Pour un certain nombre de biens, la décision d’achat est le simple résultat de la phase de recherche d’informations. Il suffit de comparer les informations collectées, voire de faire appel à un outil automatisant la sélection de l’offre (comparateur de prix). Tout cela peut se passer sur le Net. Mais le commerce de nombreux biens et services implique le maintien d’une interaction physique entre acheteurs et vendeurs parce que :
– le bien l’exige : il faut pouvoir toucher ou visualiser physiquement le bien (tissu, maison…) ou un contact interpersonnel est nécessaire pour réaliser un service ou une partie du service (coiffure, médecine, enseignement, maintenance, conseil…) ;
– la transaction repose sur un processus complexe d’aide à la décision ou une négociation implique des rapports interpersonnels (cas où il est difficile d’objectiver le transfert du droit de propriété par une routine) ;
– le vendeur a un intérêt stratégique à conserver un contact physique avec ses clients.

La deuxième évolution possible, pourrait donc être un retour à des logiques de proximité. Proximité s’entend ici à la fois comme la proximité géographique, la proximité physique et la proximité sociale. Ce besoin de proximité pourrait trouver une réponse dans l’hybridation du réel et du virtuel dans la façon de commercer et de consommer : un retour à des logiques de proximité qui intégrerait les technologies numériques. A la croisée du réel et du virtuel, on peut donc envisager de nouvelles formes et localisations de magasins qui répondent à ces besoins de proximités. Certains distributeurs imaginent déjà les magasins de demain.

On peut donc prévoir, plus qu’une explosion des parts de marché du e-commerce, une convergence entre le commerce traditionnel et le commerce électronique. Le numérique s’insérant dans toutes les formes de commerce.

Source : Friedland